Analysis of L'Enterré vif

Maurice Rollinat 1846 (Châteauroux) – 1903 (Ivry-sur-Seine)



Homme ! imagine-toi qu’après un soir d’orgie
         Tu rentres chez toi, très joyeux :
Tu dors, et le matin, tombant en léthargie,
         Tu parais mort à tous les yeux.

Ta fillette se mire, et ton épouse fausse,
         Bouche ricaneuse et front bas,
Songe : « On va donc enfin le fourrer dans sa fosse ;
         Vite une loque et de vieux bas ! »

Sur la table de nuit on met un cierge sale,
         On te roule dans le linceul.
Et tandis que chacun tourne et va dans la salle,
         Tu gis dans un coin, blême et seul.

La bonne, ta maîtresse, égrène une prière
         D’un air las où l’ennui se peint ;
L’ouvrier prend mesure et propose une bière
         De bon chêne ou de bon sapin.

Pendant que ton cousin optera pour le chêne :
         Il criera, ton enfant si cher,
Que pour gagner vingt sous il faut que l'on s’enchaîne :
         Le sapin est déjà trop cher !

Bref, on t’habillera d’un peuplier si tendre
         Qu’on aura peine à le clouer ;
Et sur les contrevents, ton fils, sans plus attendre,
         Écrira : Maison à louer.

Et puis, bagage oblong, heurtant rampe et muraille,
         Par l’escalier tu descendras ;
Aux regards de la rue égoïste qui raille
         Ligneusement tu t’étendras ;

Et les porteurs narquois, sous la nue en fournaise
         Calcinant les toits et le sol,
Marmotteront : « Tu vas fermenter à ton aise
         Et charogner dans ton phénol. »

Le prêtre ayant glapi : « Bah ! mourir, c’est renaître ! »
         Peu payé, priera mollement ;
Et ceux qui te verront passer de leur fenêtre
         Diront : « Quel pauvre enterrement ! »

Le corbillard, avec des lenteurs de cloporte,
         Rampera lourd, grinçant, hideux ;
Comme il peut arriver que le cheval s’emporte
         Et casse ton cercueil en deux.

Dans l'église, un ivrogne en sonnant tes glas sombres
         Réveillera de gros hiboux
Qui frôleront ta caisse avec leurs ailes d’ombres
         Et viendront se percher aux bouts.

Entre les hommes noirs à figure pointue
         Un pauvre portera ta croix ;
Et plus d’un pensera : « Cette scène me tue,
         « Je pourrais m’esquiver, je crois. »

Et voilà qu’on arrive à ta fosse béante,
         Obscure comme l’avenir :
Elle est là, gueule fauve, ironique et géante,
         Attendant l’heure d’en finir.

Sur un court Libera que le prêtre t’accorde
         On t’engouffre et tu glisses... Brrou !
Puis, d’un mouvement brusque on ramène la corde
         Et tu t’aplatis dans le trou.

On prend le goupillon avec des mains gantées,
         On t’asperge vite en tremblant ;
Et l’on rabat la terre, à pleines pelletées,
         Sur ton paletot de bois blanc.

Un fossoyeur, pressé d’achever sa besogne,
         Enfonce ta croix comme un coin,
Et les deux croque-morts ricanant sans vergogne
         Vont boire au cabaret du coin.

Or, tout cela se brise à ton sommeil magique,
         Comme le flot contre l'écueil ;
Mais ton œil va s’ouvrir pour un réveil tragique
         Dans l’affreuse nuit du cercueil.

Alors, étroitement collés contre tes hanches,
         Tes maigres bras ensevelis
Iront en s’étirant buter contre les planches
         Sous le grand suaire aux longs plis.

Tandis que tes genoux heurteront ton couvercle
         Avec un frisson de fureur,
Ton esprit affolé roulera dans un cercle
         D’épouvantements et d’horreur.

Une odeur de bois neuf, d’argile et de vieux linges
         Te harcèlera sans pitié :
L’asphyxie aux poumons, la névrose aux méninges,
         Tu hurleras, mort à moitié.

Tes sourds gémissements resteront sans réponse ;
         Plus d’échos sous ton hideux toit
Qui, spongieux et mou comme la pierre ponce,
         Laissera l’eau suinter sur toi !

Dans l’horrible seconde où ta vie épuisée
         Luttera moins contre la mort,
Tu croiras voir ta chair déjà décomposée ;
         Tu sentiras le ver qui mord.

Contrition tardive et vaines conjectures,
         Tous ces spectres aux dents de fer
Lancineront ton âme en doublant tes tortures
         Qui te feront croire à l’enfer.

Tandis que ta famille oublieuse et cynique
         Discutera ton testament,
Et que, la plume aux doigts, un vieux notaire inique
         Épaissira l’embrouillement,

Toi, tu seras tout seul enfermé dans ta boîte,
         Pauvre cadavre anticipé,
Sans haleine, sans voix, sans regards, le corps moite,
         Bouche ouverte et le poing crispé.


Scheme ABAB BBBB CCCC DEDF FGFG DDDD CBCB BXBC DEDE EBEB BBBB EBEB EDED EDED BEBH FFFF HCHC BBBB CDCD BEBE BEBE IEIE BXBD HEHE EXED
Poetic Form Quatrain  (84%)
Metre 1010111111 1111111 111011111 111111 11111111 11111 1111101111 1111111 11101111111 111101 1111111111 111111111 1111111111 1111111 111101111 11111111 10111011011 111111 1110111111111 01011111 1111111 110101 111111111 1101 111101111 1111 1011111111 1111 111111111 111101 111111 1111111 01111111101 1111 11111101111 1111 0111111 11111 11111011 111111 1111111111 11111 111111111 111111 10111101 1101011 111111111 11111 1110111110 0111 10111111110 010111 111110111 111111 111111111 111101 110111111 11111 1111101101 111111 111111 111111 11111111 1110111 111011111 101111 1111111111 11111 1111111 1111 11111111 1011111 1111111 11111 10111111 1111 1111111111 11111 111111111 1111 11111111 1111111 1111110110 11111 11111111 11111 1111111111 110111 010111010 1111111 11111110 11111 1111111 11100 1111111111 11 1111111111 111 1111101011 1110111
Closest metre Iambic hexameter
Characters 4,429
Words 667
Sentences 30
Stanzas 25
Stanza Lengths 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4
Lines Amount 100
Letters per line (avg) 30
Words per line (avg) 7
Letters per stanza (avg) 118
Words per stanza (avg) 28
Font size:
 

Submitted on May 13, 2011

Modified on March 05, 2023

3:20 min read
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    "L'Enterré vif" Poetry.com. STANDS4 LLC, 2024. Web. 29 May 2024. <https://www.poetry.com/poem-analysis/27826/l%27enterr%C3%A9-vif>.

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